Constantin Réoutsky
Je vous traduis une interview de Constantin Réoutsky, un activiste de Lougansk appartenant à un groupe local de défense des droits de l'Homme. L'original en russe est ici :
"Depuis début mai, les combattants séparatistes mitraillent méthodiquement, encerclent et cherchent à prendre d'assaut les unités militaires basées à Lougansk, dont celles de la Garde Nationale et de la DCA. Pour le bâtiment de l'état-major des garde-frontières, c'est déjà la 6ème attaque. Le pouvoir central à Kiev, non seulement ne leur a apporté aucune aide avant, mais a dissimulé soigneusement les précédentes attaques. J'ignore pourquoi, je constate seulement.
Aucune unité militaire ukrainienne à Lougansk n'a reçu d'aide dans le cadre de l'OAT (opération antiterroriste) ni de consignes précises sur la conduite à tenir en cas d'assaut. Résultat, à leur risques et périls, les soldats de Lougansk ont pris eux-mêmes les décisions de se défendre ou non, de se rendre en abandonnant leurs armes ou en exigeant de pouvoir les conserver. Il y a eu des cas où, ayant pu quitter leur base avec leurs armes après des pourparlers avec les assaillants, certains se sont retrouvés dans la nature, obligés de se cacher. Des soldats de la Garde Nationale sont venus demander de l'aide auprès de notre association parce que l'état-major les considérait comme déserteurs et n'assurait plus leur ravitaillement.
Et puis la presse s'est mise à parler de la bataille du 2 juin qui a duré 17 heures, et elle a révélé que les garde-frontières, malgré leur demande d'aide terrestre et aérienne, n'avaient reçu aucun renfort. Maintenant, tout le monde parle de la bataille de Lougansk. Tous les témoignages montrent que le cynisme des terroristes n'a plus de limite, ils ont tiré sur la base depuis le toit des maisons, se sont postés dans des appartements dont ils ont chassé les familles en leur donnant 15 minutes pour quitter les lieux.
Pendant tout le mois d'avril, les terroristes ne bougeaient pas du bâtiment du Service de Sécurité qu'ils avaient occupé et n'osaient pas se montrer en ville avec leurs armes automatiques. Mais vers la fin avril, il y a eu une arrivée massive d'armes et de volontaires en provenance de Russie, et ils ont commencé à s'emparer des bâtiments officiels les uns après les autres, ils ont fait la chasse aux pro-ukrainiens et ont pris le contrôle de toute la ville et de la partie sud de la région. Dans notre oblast il n'y a plus aucune trace de pouvoir ukrainien et j'ai la nette impression que Kiev a décidé de laisser faire. Je ne sais pas ce que le gouvernement espère, que la population d'elle-même aille prêter main-forte à ses soldats et à ceux des miliciens qui ne sont pas passés à l'ennemi ? Si les gens ne bougent pas, c'est le destin de la Transnistrie ou de l'Abkhazie qui nous attend. Mais beaucoup soutiennent les séparatistes, même s'ils ne sont pas du tout la majorité. Les autres ont peur et veulent seulement la paix, car dans la région, la criminalité a pris des proportions inquiétantes de même que la terreur politique."
On dit à la Rada et dans les médias que le député du Parti des Régions et ex-gouverneur de l'oblast de Lougansk Alexandre Efremov pourrait remettre de l'ordre mais ne le veut pas.
"Dès qu'il est devenu gouverneur en 1998, Efremov a pris le contrôle total de l'oblast : contrebande, économie souterraine, exploitation illégale des mines de charbon, tout était sous son autorité. Et c'est lui qui a manigancé toute cette histoire de séparatisme et promis l'aide de Moscou. Alors que des gens de son clan voulaient entrer en pourparlers avec le nouveau gouvernement provisoire de Kiev, le Kremlin s'en est mêlé en envoyant des armes et des volontaires dans la région. Efremov a maintenant perdu tout contrôle sur les séparatistes et se retrouve pris au piège."
Vous appelez ces combattants venus de Russie des volontaires. Pourquoi ?
"Parce que c'est la vérité. En Russie il y a des clubs pour les passionnés de reconstitutions historiques et c'est là qu'ils sont recrutés pour aller se battre en Ukraine au nom de l'idée de "Monde Russe". Ils sont d'abord amenés à Rostov dans un centre de préparation où on leur donne des armes et des directives. De là, ils partent dans les régions de Donetsk et Lougansk. En Russie, on appelle ça "les vacances de guerre". Ces volontaires prennent un congé auprès de leur employeur et partent s'amuser à faire la guerre et gagner de l'argent. Je ne connais pas le tarif, mais on trouve des chiffres sur Internet, tant par jour, tant pour un soldat tué, tant pour un officier."
Combien d'habitants ont été obligés de quitter l'oblast ?
"Personne ne sait exactement, certains parlent de 4.000. Pour ces deux dernières semaines, sont passées par notre service d'aide "Восток SOS" un peu plus de 600 personnes, mais il y a d'autres organisations qui offrent leur secours ..."
Et l'Etat ?
"Nous nous sommes adressés au Ministère de la Politique Sociale, mais l'Etat n'a ni programme, ni moyen pour ce problème. Souvent les services de l'état conseillent même aux réfugiés de se tourner vers des associations comme la nôtre, lesquelles vivent grâce aux dons de nos concitoyens miséricordieux. Certains proposent de les héberger chez eux, les aident financièrement, prêtent leur voiture pour les faire sortir des zones de combat. C'est une situation tragique."
Pensez-vous que le pouvoir ukrainien pourra reprendre le contrôle dans l'Est de l'Ukraine ?
"Si le gouvernement avait vraiment voulu garder le contrôle de ces régions, il l'aurait fait en avril. Maintenant encore ce n'est pas trop tard mais il est difficile de considérer comme efficace son opération antiterroriste dans l'oblast de Lougansk. Pas besoin de tapis de bombes, il faut localiser et neutraliser les chefs séparatistes les plus actifs et les plus enragés et fermer complètement la frontière avec la Russie. Je ne comprends pas pourquoi ça n'a pas encore été fait.
Je pense que ce conflit va durer de longues années. Même si le pouvoir reprend le contrôle de ces régions, il restera des foyers clandestins de résistance séparatiste. Il y a des fanatiques, des radicaux, ceux-là ne se rendront jamais. Nous, en attendant, tout ce qu'on peut faire, c'est aider ceux qui veulent fuir les oblasts de Lougansk et Donetsk ..."