31 août 2014
Arcady Babtchenko
Le journaliste et correspondant militaire russe Arcady Babtchenko :
A mon avis, nous assistons maintenant à la naissance de la guerre la plus terrible pour la Russie de ces deux derniers siècles. Non pas par le nombre de victimes, mais par ses conséquences sur la société. Encore aucune nation, pendant aucune guerre, n’a eu l’idée d'obliger une épouse à renier, contre de l’argent, le nom du père de ses enfants après qu’il soit mort au combat. De la contraindre, en échange d’une compensation ou de la promesse d’un appartement, à donner son accord pour que soit effacé son nom sur sa tombe. De la forcer à se comporter comme si son mari mort était vivant.
Que de cadavres, qui n'existent pas, enterrés dans des tombes anonymes dans cette guerre qui n’a pas lieu dans ce pays où nos soldats ne sont pas !
Pendant la guerre de Tchétchénie, je me souviens, j’y ai participé, nous nous fabriquions des "médaillons de la mort" avec le métal de nos cuillères pour que nos corps puissent être identifiés, car quand on brûle dans un tank, la plaque d’identité en aluminium fond sous la chaleur. Nous voulions être enterrés et qu’il y ait un nom sur la croix. Pour qu’au moins notre nom survive. Nos commandants le comprenaient et nous aidaient. Dans cette guerre-ci, au contraire, tout est fait pour que les noms disparaissent et que les corps ne puissent être reconnus. Je ne comprends pas que l’état, qui les a envoyés à la guerre, renie la mort de ses soldats et achète le silence de leurs proches.
Cette guerre sera la dernière guerre de la Russie, non pas parce qu’elle aura manqué de ressources en hommes ou en matériel, mais parce que le processus d’anéantissement de son ethnos est pour ainsi dire achevé. La dégradation morale de notre nation est là, sous nos yeux. D’ailleurs, il n’y a plus de nation ni de valeurs à partager. La Russie est désormais un territoire habité par des groupements de gens agressifs, que rien ne relie entre eux, sinon une haine commune pour ceux qui n’ont pas rejoint le troupeau. Non, on ne peut plus parler de nation. Nos descendants étudieront cette période et ils ne pourront pas la comprendre, parce que le Poutinisme est inexplicable si on ne l’a pas vécu soi-même. Même nos proches voisins n’y comprennent rien. Des Ukrainiens m’écrivent "Russie, réveille-toi !" Hélas, elle ne dort pas …
Heureusement, il y a toujours quelques courageux pour faire mentir ce constat désabusé . Hier soir, au coeur de Saint Pétersbourg, sur la place de l'Amirauté, devant l'état major de la marine de guerre russe, cette banderole : "Marin ! L'ennemi est au Kremlin, pas en Ukraine !"
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