Docteur Folamour et Mister Kadyrov
Il est revenu, et il a changé de cravate après la poignée de main. Aurait-il beaucoup transpiré ? La grippe ? Le trac de remonter sur les planches, lui qu'on croyait déjà entre quatre ?
Les deux politologues russes Stanislas Bielkovsky http://www.echo.msk.ru/programs/beseda/1512462-echo/
et Andreï Piontkovsky https://www.youtube.com/watch?v=YdqtQ5Gn494
se rejoignent dans leurs conclusions : Poutine a choisi son camp. Pendant ces dix jours où il est demeuré invisible, les structures de force, et spécialement le FSB, ont essayé d’obtenir la tête de Kadyrov. C’est manifestement un échec, comme le prouve le résultat final de l’enquête sur le meurtre de Boris Nemtsov. La version officielle, que tous les faits contredisent, est la suivante depuis hier, jour de la réapparition de Poutine : Dadaïev, de sa propre initiative, a assassiné Nemtsov pour des raisons politico-religieuses avec quatre autres Tchétchènes. Kadyrov est ainsi lavé de tout soupçon, de même que Poutine, qui n’est de la sorte ni le commanditaire ni le complice. D’une certaine façon, Poutine trahit ainsi ses camarades qui l’ont mis au pouvoir, mais il devait avoir moins à craindre d’eux que des révélations de Kadyrov sur les attentats terroristes commis en Russie sur son ordre à la fin des années 90 et autres exécutions d’opposants ou de journalistes. Il doit vraiment tout à Kadyrov. Sans lui, aurait-il fait le chemin qu'il a parcouru depuis ses années à Dresde ? (La "Mite" comme on l'appelait est à l'extrême gauche.)
La question qu’on peut légitimement se poser : pourquoi le FSB s’est-il plié (pour l’instant, en tout cas) à cette décision ? Il n’est pas impossible que le risque que le Caucase s’embrase et que des troubles soient fomentés en Russie par les hommes de main de Kadyrov aient été des arguments de poids. Le FSB aime l’ordre et la discipline, mais il aura quand même fallu 10 jours pour qu’il consente à avaler son chapeau ! Lors de sa rencontre avec le président kirghize, Poutine paraissait mal à l’aise, il avait le visage en sueur, il a essuyé à deux reprises des gouttes de transpiration, les rares paroles qu’il a prononcées l’ont été d’une voix faiblarde : le combat qu’il a peut-être dû mener entre les deux principaux suppôts de son régime a laissé des traces. Il sera intéressant de voir dans quel état il sera demain pour la grande fête "La Crimée est à nous !" (Le meeting et le concert auront lieu à 50 mètres de l'endroit où a été assassiné Boris Nemtsov, dont le meurtre ressemble de plus en plus à l'offrande barbare d'un Khan oriental à son allié-vassal-otage.)
Que faut-il attendre de cette nouvelle distribution des cartes ? Rien de bon, selon Piontkovsky, qui a participé en 1992 à la rédaction de la nouvelle doctrine militaire russe :
Le film sur la Crimée ? Poutine est l’homme le plus dangereux que notre civilisation ait connu. A l’époque soviétique, il fallait l’accord de trois hommes pour appuyer sur le bouton nucléaire : Le 1er secrétaire du Parti, le ministre de la Défense et le chef des armées. Les trois ne pouvaient pas devenir fous en même temps. Aujourd’hui, seul Poutine a la décision, et son aveu d’avoir envahi délibérément la Crimée au mépris des lois internationales et d’avoir été sur le point d'utiliser l'arme nucléaire alors que son pays n’était ni menacé nucléairement ni envahi, cet aveu-là serait de nature à le conduire devant un tribunal. Que manifestement il ne craint pas, car il joue en dehors des règles et ira toujours au-delà de ce que la raison et la morale acceptent. Jusqu’à maintenant, le chantage qu’il fait à l’Occident lui réussit : aucune arme léthale n’est livrée à l’Ukraine.
Fait-il semblant d’être fou ? C’est possible, mais c’est inadmissible de la part d’un dirigeant d’une puissance nucléaire.
Les manœuvres à grande échelle commencées aujourd’hui ? A l’époque soviétique, elles annonçaient une invasion (Tchécoslovaquie), au début du règne de Poutine, le signal d’une guerre à venir (Tchétchènie). Ces exercices sont prévus jusqu’au 21 mars.
Une invasion de l’Ukraine ? Peut-être à l’issue de ces exercices, ou pendant, une fois célébrée l’annexion de la Crimée. De plus, c’est le printemps. Personne ne commence une guerre en hiver, Poutine a dû ronger son frein. Il s’imaginait que l’Ukraine s’effondrerait économiquement, il ne s’attendait pas à une aide financière de la part du FMI et des pays occidentaux. C’est insupportable pour lui.
Jusqu’où pourrait-il aller ? Marioupol et pourquoi pas Kiev. Poutine, dans ce film, dit ouvertement à l’Occident qu’il a le doigt sur le bouton nucléaire et que personne ne l’arrêtera. Tant qu’il ne touche pas aux Pays Baltes et à la Pologne, membres de l’OTAN, il a sans doute raison …
Poutine ? Il n'arrête pas de copier toutes mes meilleures idées !
Sergueï Axionov, l'homme de paille de Poutine dans la presqu'île, a décerné hier à Ramzan Kadyrov la médaille "Fidélité au Devoir" de la république de Crimée en récompense de "son courage, son patriotisme, sa position politique active, son engagement personnel pour fortifier l'unité, le développement et la prospérité de la Crimée." La remise de cette décoration a eu lieu lors de la "Journée du Rattachement". On peut voir sur la photo ci-dessous les 97% qui avaient voté pour :
Le Ministère des Affaires Etrangères de Russie a annoncé hier, par la voix de Constantin Dolgov, qu'il cessait tous les contacts avec l'Union Européenne pour les questions relatives aux Droits de l'Homme :
http://www.kasparov.ru/material.php?id=5506A6B20EE1E
"C'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Pour nos collègues européens, la Russie était toujours la coupable ! Ils nous faisaient la leçon, ils nous donnaient des cours de morale, c'est fini."
C'est hélas à ce moment, où la Russie se met d'elle-même au ban des sociétés civilisées, que Nadia Savtchenko reprend sa grève de la faim. Voici la traduction de sa lettre :
Mes amis, mes chers Ukrainiens !
Je vous ai entendus quand vous me demandiez de me réalimenter et je vous ai prouvé que j’avais assez de sagesse et de patience pour accepter un compromis qui devait être mutuel.
J’ai respecté la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et entendu ses conseils de cesser ma grève de la faim afin de ne pas nuire à ma santé.
Mais, s’il vous plaît, à présent vous devez m’écouter. Ce n’est pas moi qui nuis à ma santé dans ce donjon russe, ce sont les bouchers qui m’ont enlevée et emprisonnée au mépris de l’honneur et de la loi. Oui, c’est une honte, mais la CEDH ne peut pas me défendre en Russie.
Je ne suis pas l’ennemie des compromis, mais marchander avec ma conscience et la vérité, c’est quelque chose que je ne peux pas faire et ne ferai pas. Je suis très étonnée que des compromis entre l’Ukraine et la Russie soient même encore possibles, mais il ne peut pas y en avoir pour moi avec le système judiciaire russe. Comment honneur et déshonneur pourraient-ils faire des arrangements entre eux ?
J’ai interrompu ma grève de la faim pendant dix jours, du 5 au 15 mars, pour vous montrer, gens de bien, que je respecte et apprécie votre opinion. Mais je ne peux pas continuer, car je cesserais alors de me respecter moi-même. A partir du 16 mars je reprends ma grève et ne la cesserai qu’à mon retour en Ukraine ou au dernier jour de ma vie en Russie. Jusqu’à la fin ! Jusqu’à la fin cruelle !!!
Je vivrai ! En Ukraine, les héros ne meurent pas !!!
Je serai libre, il n’y a pas d’esclaves au paradis ! D’une façon ou d’une autre, le Kremlin me ramènera dans ma Patrie, l’Ukraine ! Même dans un cercueil avec un ruban noué dessus comme cadeau pour mon anniversaire le 11 mai 2015 !
Les autorités russes ont si peur de perdre la face qu’ils n’ont pas assez de bon sens et de courage pour reconnaître honnêtement leur erreur, mais moi je ne perdrai jamais ma dignité d’être humain.
Au lieu de reconnaître honnêtement qu’il a fait une gaffe en m’enlevant comme des centaines d’autres Ukrainiens pour nous jeter en prison, le Comité d’Enquête s’est discrédité lui-même comme institution avec son comportement malveillant et criminel. Au lieu de punir ces enquêteurs conformément aux lois, le gouvernement russe les laisse faire, prouvant ainsi au monde entier que les lois n’existent pas en Russie !
Même le plus crétin des politiciens russes ne peut pas ne pas comprendre que ma mort en Russie sera juste une raison, pas la seule, mais une raison quand même, pour déclencher la 3ème guerre mondiale !!! La communauté mondiale ne doit plus permettre à la Russie de violer les lois internationales, en annexant la Crimée, en semant la guerre dans le Donbass, en kidnappant et assassinant les libres citoyens d’autres pays. Chacun sait que la Russie a apporté le désastre en Ukraine et que ce désastre demain touchera son propre foyer. C’est pourquoi, si les Russes ne veulent pas la guerre, ils doivent alors se décider à rassembler leur courage pour arrêter leur gouvernement assoiffé de sang.
Nadia Savtchenko, 16 mars 2015.
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