Vladimir Iakovlev
Vladimir Iakovlev, le fondateur du journal Kommersant, a publié sur son compte Facebook le texte suivant : « Jamais je ne m’étais autorisé ce genre d’appel, mais comme c’est la première fois, je pense en avoir le droit. Il se trouve que mon grand-père, Alexandre Boulgakov, a été journaliste toute sa vie (il fut entre autre correspondant de guerre pour les Izvestia et était à Berlin en mai 45). Il se trouve que mon père, Egor Iakovlev a été journaliste toute sa vie (il fut entre autre rédacteur en chef aux Nouvelles de Moscou pendant la perestroïka). Il se trouve que toute ma vie, j’ai travaillé comme journaliste. J’ai créé Kommersant, le premier journal indépendant du pays, et selon certains, j’ai eu une certaine influence sur le monde du journalisme.
La carrière de notre famille s’étend ainsi sur plus de 90 ans de l’histoire du journalisme russo-soviétique. Pour des raisons qui ne dépendent pas d’eux, mon grand-père et mon père ne peuvent pas dire aujourd’hui ce qu’il est nécessaire de dire. C’est donc à moi de le faire, moins bien qu’eux certainement.
Je souhaite m’adresser sans exceptions à tous les journalistes, les blogueurs et gens des médias qui travaillent pour les journaux, magazines et chaines de télé appartenant aux structures d’état ou financés par elles et qui répandent des flots de haine dans le pays.
Je veux leur dire : LES GARS, ARRETEZ !
Arrêtez d’apprendre aux Russes à haïr, parce que cela met notre pays en lambeaux. Les gens n’ont plus que haine les uns envers les autres, ils vivent désormais dans la folle illusion que la Russie est entourée d’ennemis. Des jeunes meurent à la guerre, on tue un homme politique sous les murs du Kremlin. Ce n’est ni l’Amérique ni l’Europe qui se trouvent au bord d’une catastrophe sociétale, c’est notre pays. La "guerre de l’information", c’est d’abord nous-mêmes qu’elle tue. Ma famille a travaillé dans le journalisme sous Staline, Khroutchev, Brejnev, Gorbatchev et Eltsine. Pendant ses 90 ans d’expérience professionnelle, elle a dû apprendre à faire des compromis avec le pouvoir, mais sans jamais franchir une certaine ligne morale. Si l’histoire de notre famille peut enseigner quelque chose, c’est ceci : il arrive un moment où il est absolument nécessaire de ne plus faire d’arrangements avec sa conscience, et ce moment, c’est maintenant.
Il y a quelques jours a été diffusé le film "Crimée, retour dans la Patrie", dans lequel on apprend que l’option nucléaire a été sérieusement envisagée. C’est terrible, bien sûr, mais on avait déjà vu un Premier Secrétaire du Parti assez fou pour brandir la matraque nucléaire en guise d’argument. Non, ce qui est véritablement terrible, c’est qu’un très grand nombre de téléspectateurs ont approuvé cette idée. Ils l’ont approuvée, parce qu’ils sont gavés d’images et d’articles. Et qu’ils croient à ce que ces images et ces articles leur racontent.
Comme les autres, je connais le doux mot d'honoraires et comme les autres, je profite des avantages de notre profession : on a des enfants, il faut les nourrir, et ce n’est pas facile actuellement de trouver du travail. Mais il y a une limite au-delà de laquelle il faut savoir dire non aux honoraires.
"Les manuscrits ne brûlent pas." (*célèbre phrase de Boulgakov dans son roman "Le Maître et Marguerite"). Et c’est dommage. Moi qui suis un journaliste russe de la 3ème génération, j’aurais souvent préféré qu’ils brûlent et disparaissent en cendres. Mais avec Internet, chaque nom dans les génériques et chaque signature au bas des articles sont coulés dans le béton des moteurs de recherche et de Youtube. Et ces signatures et ces noms, ce sont les vôtres, pas ceux de vos payeurs d’honoraires. Ce n’est pas à eux qu’on demandera des comptes, c’est à vous.
Vous savez tout autant que moi ce qu’il faut faire pour changer le cours des choses. Si cela se révèle impossible, alors, au moins, démissionnez et expliquez publiquement pourquoi. Et allez vendre des concombres sur le marché. Avec la crise que nous connaissons, cela rapporte assez bien.»
(Les commentateurs de ce texte saluent cet appel, tout en soulignant son inutilité : ceux qui travaillent aujourd'hui dans les médias ont perdu tout sens de l'éthique, Iakovlev leur parle une langue qui leur est devenue étrangère.)
Le sens de la morale et de la conscience citoyenne, on ne le trouve plus maintenant que chez les rares courageux qui osent protester, comme hier à Moscou et Saint Petersbourg :
La Crimée, c'est notre honte ! / Poutine voit des ennemis partout, mais nous, nous n'avons plus que des dettes. / L'espoir ("Nadejda" en russe) fond avec le Printemps Russe.
J'exige qu'on retire nos armées du territoire de l'Ukraine.
Je ne veux pas payer pour la Crimée.
Quand on découvre cette citation que Rogozine reproduit avec délectation sur son compte twitter,
les images ci-dessous ne doivent plus nous étonner !
L’ex-maire drogué de Slavyansk et savonnier Viatcheslav Ponomarev refait des bulles : il est à Moscou et donne un interview tout en se promenant au pied des murs du Kremlin. La vidéo est interminable, je la résume en quelques phrases : « Strelkov-Guirkine est un salaud-froussard-menteur, il a trahi les intérêts de la Novorussia, il a massacré de paisibles citoyens, a puisé dans la caisse et s’est enfui comme un lâche en abandonnant les insurgés. Cette gravure de mode ne s'est jamais battue, il ne sait que comploter et cherche maintenant à provoquer un maïdan en Russie. »
https://www.youtube.com/watch?v=U2db6Sza4Ck&t=59
Aujourd’hui, à Saint Petersbourg, on attend un arrivage des plus beaux spécimens de l’extrême-droite de l'UE, le parti "Rodina" les a invités à participer à un forum international de soutien à la Russie. Le Front National a décliné l’invitation. Par sens moral ? Non, pour ne pas nuire à sa réputation auprès de son électorat. (Eh oui, ce sabbat de sorcières est autorisé et officiel, il y aura donc des photographes. On se mélange, mais faut pas que ça se sache …)
Un petit jeu pour terminer : les reconnaissez-vous ?