Le bagne de Kopeïsk
Alexandre Koltchenko, convoyé par étapes avec Oleg Sentsov depuis plusieurs semaines, est arrivé à sa destination finale : le bagne de Kopéïsk, près de Tchélyabinsk. http://www.svoboda.org/content/article/27582402.html
Il y passera 10 ans si le gouvernement ukrainien et les instances internationales ne se remuent pas vraiment le cul pour exiger de la Russie qu'elle libère tous ses otages ukrainiens. Quant à Oleg, il est toujours en route, il n'atteindra la Iakoutie que dans une semaine ou dans deux mois, au bon gré des trains cellulaires qui font de longs arrêts un peu partout pour ramasser sur leur passage les condamnés qu'a moissonnés la pseudo-justice poutinienne.
La colonie pénitentiaire n°6 de Kopeïsk est tristement connue pour les traitements qu'elle fait subir aux détenus. Quelques articles en français :
http://www.liberation.fr/planete/2008/06/11/les-prisonniers-brises-de-kopeisk_73853
Il y a longtemps, très longtemps, mais c'était comme si c'était hier : un de mes groupes d'étudiants me rend visite dans mon foyer à Kiev, sous la houlette de leur starost. On prend le café. Quand ils quittent ma chambre, l'un d'eux s'attarde, attendant que le mouchard soit dans le couloir. Il se plante devant la carte de l'URSS que j'ai accrochée près de la porte et à mi-voix, pointant du doigt différents points du territoire : "Là, là, là, là, là, partout des camps, partout la mort." C'était en 1975, pour être informé il fallait écouter Deutsche Welle ou Voice of America, mais ces stations étaient inaudibles, car l'institut et le foyer étaient trop proches de l'église Saint Nicolas qui avait été transformée en station de brouillage. (Pour pouvoir les écouter, j'allais chez des amis à Darnitsa, de l'autre côté du Dniepr.) Avant qu'il ne referme la porte, je chuchote à mon étudiant : "Comment le sais-tu ?" Il me répond : "Nous le savons tous et tous nous nous taisons."
J'avais écrit ce poème à la mémoire des dissidents soviétiques, je le dédie aujourd'hui à tous mes amis connus et inconnus, ukrainiens et russes...
I
Ceux qui nous ont murés
Sont entrés dans ces murs
Ils se sont refroidis
Pour devenir murailles
Ils se sont mutilés
Pour nous retrancher l'âme
Ils ont pour nous aimer des chaînes
Pour nous parler des coups
Le rouage de nos cris
Les met en mouvement
Ils battent la mesure
Et torturent sans relâche
Eux
Dans la prison extérieure
Souffrent également
Nous ne plaindrons jamais assez ceux qui nous frappent
Le mouvant malheur
Un jour a distribué les cartes
Le jeu demain peut être différent.
II
Fer mon métal
Puisque le bois craque
J'ai choisi la durée
Et j'accepte le rail
Et le wagon d'acier
J'ai des couteaux bleutés sous les paupières
À chaque gare ils cisaillent un peu mieux
Je n'ai pas vu la Chine je n'ai pas vu la mer
Je ne vois plus la neige où sera mon tombeau
Mais je puis vous parler très longuement du sel
De ses cristaux
En vain
J'en cicatrise ma mémoire
Toujours le passé saigne.
III
S'il avale le grain sans se plaindre
S'il habitue sa main à signer l'infamie
S'il sait rire du cadavre pour plaire à l'assassin
C'est que l'hiver tient serrée la gangue du chagrin
Et s'il vole
S'il pille
S'il arrache
S'il dénonce et se terre
Se pavane et quémande
C'est que le froid tient cousu le drap de la misère
Mais un matin de pluie tiède
Voici que se défait la cire du visage
Sa voix gelée charrie dans la débâcle des mots oubliés
À une palissade
Au centre de la ville
Il attache son âme
Il ne sait pas encore ce qu'il apprendra d'elle
Et qui résonne en lui à grands coups de boutoir
Il est glace et torrent
Il fond à chaque larme
Le soleil le saccage
Le découpe à la hache
Bonhomme de neige
Si petit à midi
Émergeant d'une flaque
Et qui crie.
Demain et après-demain auront lieu les deux dernières audiences du procès Savtchenko.
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Bon anniversaire à Dalia Grybauskaitė, Présidente de la Lituanie !
Certains disent qu'il ne faut pas faire trop pression sur la Russie afin de lui donner la possibilité de ne pas perdre la face et lui laisser l'occasion de faire une retraite stratégique. Mais c'est l'Europe qui ne doit pas perdre la face, pas la Russie, laquelle a perdu la face depuis longtemps. Elle n'a plus qu'un seul visage, celui de Poutine.